Destin d'un logement insalubre, le commentaire d'une décision de justice

Publié le par Apprenti Juriste

Madame X est une immigrée d'origine Serbe. Arrivée dans les années 80, elle a depuis acquis la nationalité française. Elle a travaillé en arrivant, mais depuis longtemps n'a pas d'activité et vit grâce au RMI devenu RSA. Elle préside une association d'insertion d'immigrés serbes, financée par la mairie de Paris, ce qui lui paye entre autres son téléphone. Elle habite dans un deux pièces situé au coeur d'un quartier chic parisien, qu'elle peut s'offrir aisément puisque le loyer est sans concurrence : 850 francs soit 129,58 euros.
Pourquoi un loyer si faible ? C'est le principe du "bail de 48" . Il est soumis à la loi du 1er septembre 1948 qui a pour effet de maintenir le prix du loyer pendant toute la durée de l'occupation (voir chapitre III) . C'est ce qui explique la faiblesse du loyer pour un deux pièces à Paris. Son article 3-9 dispose « la faculté de résiliation appartient au seul preneur à la fin de chaque année ». Si bien que l'éviction de locataire en loyer de 48 est devenu un métier tant l'écart entre la valeur d'achat et la valeur de revente est importante. Le législateur a souhaité mettre un terme aux baux conclus sous l'empire de cette loi par la loi n°86-1290 du 23 décembre 1986.  Il est dorénavant impossible de transmettre le bail à ses héritiers, le bail en loi de 48 s'éteint nécessairement avec le décès du preneur.
Le deux pièces est dans un très mauvais état, et les voisins se plaignent des nuisances, en particulier concernant les risques d'incendie, d'inondation et sanitaires. L'appartement change de main et les nouveaux propriétaire (Monsieur et Madame Y) ont la ferme intention de se débarrasser de ce locataire indésirable.
Ils font d'abord faire un constat par un huissier de justice qui révèle un état déplorable de l'appartement. Celui-ci est rempli jusqu'au plafond d'immondices. Ce constat fait également apparaître que l'appartement est inoccupé, pas de lit, pas de denrées alimentaires, pas de consommation électrique...
Monsieur et Madame Y demandent alors la résolution du bail devant le Tribunal d'Instance.
Entre temps, le comité d'hygiène et de sécurité (CHS) de la ville de Paris est prévenu à cause des risques d'incendie. En effet, les immondices en plus d'attirer rats et autres cafards dégagent en putréfiant des fumées qui déclenchent les détecteurs de fumée de l'immeuble. Un deuxième constat d'huissier est prévu, sur demande du juge, cette fois-ci en présence de l'avocat de Mme X et du CHS.
Cette fois-ci, Mme X est présente. Sommée de s'expliquer sur l'absence de lit et l'inhabilité de l'appartement, elle explique qu'elle ne fait que « passer de temps à autre ». Une fois sortis de l'appartement, Mme X explique à l'Huissier de justice sidérée qu'elle attends de Mme Y 50.000 euros pour partir. Le procès a lieu un mois plus tard.
Durant l'audience, le juge est particulièrement stupéfait par les photos du constat d'huissier.

Ci- dessous, la décision de justice, les passages en italique sont de moi, le reste constitue le texte du jugement.

FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES


Selon acte sous seing privé du 19 décembre 1986, Monsieur A a donné en location à Madame X un logement situé ***, moyennant un loyer trimestriel révisable de 850 francs soit 129,58 euros.

Tout d'abord, définissons l'acte sous seing privé, il s'oppose à l'acte authentique en ce sens qu'il est un document sans valeur juridique particulière. Si vous prenez une feuille, que vous mettez votre nom, la date, et que vous y écrivez des informations qui ont un contenu juridique cohérent, vous êtes l'auteur d'un acte sous seing privé.

Selon acte authentique du 30 janvier 2008, Monsieur Emmanuel Y et Madame Corinne B épouse Y ont acquis ledit logement.

Voilà le fameux acte authentique, c'est l'acte « qui a été reçu par des officiers publics ayant le droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé, et avec les solennités requises ». Il tire de ces conditions une valeur supérieure à celle de l'acte sous seing privé. En l'espèce, il s'agit d'un acte de vente tout ce qu'il y a de plus classique.

Le 30 septembre 2008, le bailleur a fait délivrer à la locataire un commandement de payer visant la clause résolutoire prévue au bail et la mettant en demeure d'avoir à régler la somme principale de 571,62 euros, outre les frais, au titre des loyers échus à la même date.

Un « commandement de payer » est un document délivré par un huissier de justice qui somme le débiteur d'une dette de s'acquitter de celle-ci. C'est la première étape à une procédure contentieuse qui permettra de récupérer la dette de force si le débiteur rechigne à vous payer ce qu'il vous doit. En l'espèce, le commandement de payer est un peu particulier puisqu'il vise « la clause résolutoire ». Cette clause est insérée dans la quasi-totalité des baux.
Elle prévoit que si le locataire ne paie pas ses loyers, le bail est résolu de plein droit et après une durée prévue dans cette clause (en général deux mois). Après cette durée, le propriétaire peut donc expulser le locataire sans passer par un juge.
En l'espèce, la locataire a fini par payer son loyer ce qui a empêché l'expulsion pour ce motif.


Par ordonnance du 30 avril 2009, le Président du Tribunal de ce siège a autorisé l'accès au domicile de Madame X et donné mission de dresser un état des lieux dudit appartement.

C'est une procédure particulière dont il s'agit ici puisqu'il est question de l'ordonnance de référé. C'est une décision d'urgence prise par le Président du Tribunal du ressort duquel le bien dépends.

Un procès-verbal de constat sur ordonnance a été établi par Maitre Z, huissier, le 11 mai 2009.

C'est ce que le juge a autorisé juste au dessus.

Par acte d'huissier du 23 décembre 2008, Monsieur Emmanuel Y et Madame Corinne B épouse Y ont fait assigner Madame X devant le tribunal de ce siège, auquel il est demandé, au vu des conclusions déposées à l'audience et reprises oralement, de :

- prononcer la résiliation judiciaire du bail,
- dire que la locataire ne peut plus bénéficier du maintien dans les lieux,
- ordonner en conséquence l'expulsion de la défenderesse ainsi que celle de tous les occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier,

« les occupants de son chef » : Cela désigne l'ensemble des habitants du logement : enfants, amis, conjoint...
Force publique : La police ou la gendarmerie tout simplement !


 - réduire le délai fixé à l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991

Il dispose : "Si l'expulsion porte sur un local affecté à l'habitation principale de la personne expulsée ou de tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu, sans préjudice des dispositions des articles L. 613-1 à L. 613-5 du code de la construction et de l'habitation, qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement." Le texte poursuit ainsi « Toutefois, par décision spéciale et motivée, le juge peut, notamment lorsque les personnes dont l'expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait ou lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l'article L. 442-4-1 du code de la construction et de l'habitation n'a pas été suivie d'effet du fait du locataire, réduire ou supprimer ce délai. » L'avocat demande donc ici la réduction de ce délai comme le prévoit le texte ci-dessus.


- ordonner l'exécution provisoire

C'est à dire que la décision va pouvoir être exécutée, même si le défendeur fait appel. En cas de victoire de ce dernier en appel, un restitution sera effectuée.

- condamner la défenderesse à leur payer la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Celui-ci dispose "Comme il est dit au I de l'article 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "
Le « perdant » va verser au « vainqueur » des indemnités qui ont pour but de compenser les frais de justice (honoraires d'avocat, constat d'huissier...) que celui-ci a du engager alors qu'il était dans son bon droit.


- condamner la défenderesse au paiement des entiers dépens.

Ce sont tous les frais qui vont être nécessaires à l'exécution de la décision de justice. En l'espèce, il va falloir payer un huissier de justice pour l'expulsion et un serrurier pour forcer la porte.

Le délai

A l'audience du 28 septembre 2009 au cours de laquelle l'affaire a été retenue, Monsieur Emmanuel Y et Madame Corinne B épouse Y, représentés par leur conseil, ont déposé des conclusions qu'ils ont reprises oralement et ont soutenu que le logement sert de dépotoir à la locataire et qu'elle n'y habite pas.

Madame X, assistée de son conseil, s'oppose à l'ensemble des demandes et soutient que l'appartement est insalubre et nécessite des travaux à la charge des bailleurs et qu'il est en désordre mais ne contient pas de détritus.
L'affaire a été mise en délibéré au 9 novembre 2009.

Cela signifie que les juges ne rendent pas le verdict immédiatement mais reportent celui-ci à une date ultérieure.

MOTIFS

Il convient de constater que le contrat du 19 novembre 2008 a été retiré des débats avec l'accord des demandeurs.

Sur l'expulsion


L'article 1728 du code civil énonce que le preneur est tenu d'user de la chose louée en bon père de famille et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail.

La notion de « bon père de famille » est omniprésente en droit français, mais pas seulement, le droit anglo-saxon connait une notion équivalente ou le père de famille devient le « reasonnable man ». C'est le comportement qu'aurait une personne respectueuse, le comportement qu'on est en droit d'attendre d'un locataire, par exemple.

Le procès verbal de constat sur ordonnance établi le 11 mai 2009 par Maitre Z, huissier, met en évidence un encombrement très important de l'appartement et une odeur pestilentielle.

Les photographies annexées au constat révèlent que toutes les pièces du logement son envahies par des objets divers, détritus, sacs plastiques, cartons, revues dont l'amoncellement atteint le plafond et rend impossible tout déplacement dans l'appartement, l'huissier indiquant d'ailleurs que la prise de photographies est rendue difficile par le manque de recul dû à l'encombrement.

Dans son arrêté du 12 juin 2009 faisant injonction à Madame X de débarrasser, nettoyer, désinsectiser et désinfecter le logement, le Préfet de Paris a considéré que cette situation constituait « un risque d'épidémie et un danger imminent pour la santé des occupants et du voisinage ».

Par courrier du 8 septembre 2009, la mairie de PARIS informe les bailleurs que l'intervention de l'entreprise de nettoiement durera trois jours, ce qui donne l'exacte mesure de l'encombrement de l'appartement qui ne comprend que deux pièces.

Madame X ne peut prétexter que l'appartement serait insalubre dans la mesure ou elle ne justifie d'aucune réclamation à ce titre auprès des bailleurs.

Il ressort de ces éléments que Madame X ne respecte pas l'obligation de mise à sa charge par les dispositions susvisées et il convient de prononcer la résiliation du bail du 19 décembre 1966 et de prononcer son expulsion

Sur la suppression du délai prévu par l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991

L'article 62 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution dispose que, par décision spéciale et motivée, le juge peut réduire ou supprimer le délai de deux mois suivant le commandement d'avoir à libérer les lieux.

L'accumulation d'objets divers et détritus dans l'appartement et l'odeur qui s'en dégage rendent impossible toute occupation des lieux et l'huissier a constaté que la locataire lui a indiqué qu'elle ne fait qu'y passer de temps à autre.

Dès lors, la locataire n'habitant pas les lieux, le délai sera réduit à sept jours.

Il n'y a pas lieu de transmettre la présente décision au représentant de l'Etat dans le département en application de l'article 62 alinéa 3 de la loi du 9 juillet 1991.

Sur la demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

L'équité impose de condamner Madame X à payer à Monsieur Emmanuel Y et Madame Corinne B épouse Y, qui ont été contraints de recourir à la justice pour faire valoir leurs droits, la somme de 1200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur l'exécution provisoire

L'exécution provisoire est compatible avec la nature de l'affaire et sera ordonnée.

Sur les dépens

Madame X sera condamnée aux dépens, lesquels comprendront notamment les frais exposés pour parvenir à l'expulsion

PAR CES MOTIFS LE TRIBUNAL
,

Statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire et en premier ressort,

CONSTATE que le constat du 19 novembre 2008 a été retiré des débats ;

PRONONCE la résiliation du bail consenti à Madame X le 19 décembre 1986 portant sur un logement situé *** ;

ORDONNE l'expulsion des lieux loués de Madame X ainsi que de tous les occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier ;

ORDONNE la réduction à sept jours du délai prévu par l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991 portant sur réforme des procédures civiles d'exécution ;

DIT qu'il sera disposé des meubles conformément aux articles 65 et 66 de la loi du 9 juillet 1991 relative aux procédures civiles d'exécution ;

DIT n'y avoir lieu à transmission du présent jugement au représentant de l'Etat dans le département en application de l'article 62 alinéa 3 de la loi du 9 juillet 1991 ;

CONDAMNE Madame X à payer à Monsieur Emmanuel Y et à Madame Corinne B épouse Y la somme de 1200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toute demande autre, plus ample ou contraire ;

ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement ;

CONDAMNE Madame X aux dépens, lesquels comprendront notamment les frais exposés pour parvenir à l'expulsion ; Ainsi jugé et prononcé par la mise à disposition au greffe du 9 novembre 2009

Publié dans Droit

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V
<br />  je suis chasseur de biens, et je trouve votre blog intéressant,<br />
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